Stéphane Erouane Dumas n'a que faire de la réalité, et du réalisme. Seul le réel l'intéresse, c'est-à-dire la vision hallucinée, le signe impensable.

« Le réel, c'est quand on se cogne », nous dit Jacques Lacan. Et l'artiste aime quand ça cogne et quand ça résiste, certain que le visible est un écheveau à démêler et un entrelacs à observer. Une broussaille infinie. Ce n'est pas un hasard si certaines toiles ressemblent aux dessins mescaliniens d'Henri Michaux., car il est moins question de vue que de vision, de précision que de perception. Pas de mimésis ni de documentation, pas d'enregistrement, ici. De même que pour Edvard Munch, les paysages - mais est-ce le mot ? - sont la projection d'une pensée, la métabolisation d'un souvenir.

Ces paysages sont moins physiques que psychiques. Ce sont des expériences de l'œil. Ils donnent à voir ce qui reste sur la paupière après l'éblouissement. Sur le mur de la cabine, griffonnée par l'artiste, je lis cette phrase de Francis Bacon : « Les choses ne provoquent pas de choc si elles n'ont pas été mises en forme de manière mémorable. » La peinture de Dumas est un précis d'optique et une extraordinaire remembrance, un stéréogramme du souvenir. Voire une empreinte malade : les corolles et les amibes ne sont-elles pas pareilles à des macules sur la macula, comme si la vision était proprement affectée ? Chaque toile n'est-elle pas une fovéa, du nom de cette zone concentrant l'acuité maximale de l'oeil ?

Et la peinture de Stéphane Erouane Dumas n'est-elle pas une somptueuse persistance rétinienne ?

Colin Lemoine, 2023